Dans une principauté magnifique mais hostile, où les peuples meurent de faim, où la bourgeoisie et la noblesse se disputent le pouvoir sur fond de corruption, où le racisme est institutionnel, où la science est hérésie et où la religion est vérité, vous avez choisi votre carrière : le grand banditisme. Bienvenue dans les ruelles sombres, les égouts des contrebandiers et les bordels des filles de joie.
Bienvenue dans NightProwler.
Une critique d’O-Ren
Avant-propos de pure forme
Je suis émue… Non, sérieusement, vous savez comme je suis tatillonne avec le style, l’orthographe et la syntaxe – certains diront « chiante », les vrais diront « vigilante » … Non, je n’avais pas de meilleure rime. Sur ce point, NightProwler 2 est une véritable réussite. Peu de coquilles, un style direct et une typo agréable à lire – encore que la typo noire sur fond gris, à mon humble avis, ça fatigue la lecture et on commence à s’en lasser, mais bon, je pars quand même avec un a priori positif sur l’ouvrage.
Les caractéristiques de l’ouvrage
La bête fait 336 pages en format A4, noir et blanc, avec couverture en dur très joliment illustrée. Les chapitres sont découpés de manière claire et cohérente : d’abord l’introduction à l’univers, ensuite les règles et finalement l’approfondir des connaissances du monde duquel les personnages dépendent. Pour décrire l’ensemble, j’ai envie d’utiliser un adjectif peu académique mais qui retranscrit parfaitement mon opinion sur la forme et la structure de NightProwler 2 : c’est chiadé !
Le grand nombre de dessinateurs ayant participé au projet a produit une diversité des illustrations et des styles. La première édition datait de 1995, la seconde a vu le jour en 2006. On sent que la décennie qui sépare les deux opus a donné lieu à une vraie réflexion au sein de l’équipe et le fruit de cette réflexion a réjoui mes petits yeux.
Au fil des chapitres, on fait connaissance avec un univers riche, très riche – super riche, un système de règles exhaustif et adaptable, un modèle de scénario très didactique et une fiche de perso – Hourra ! Si j’étais de mauvaise foi, je dirais qu’il manque quelques pré-tirés, mais en réalité, le chapitre dédié à la création de personnages contient des exemples suffisamment détaillés pour les considérer comme des pré-tirés. Ainsi, sur le plan des attentes du MJ en termes de support de jeu, NightProwler réalise un sans-faute.

Moi, le joueur type, je préfère l’appeler Jean-Michel… Mais bon, j’appelle tout le monde Jean-Michel…
Ce que j’attendais
Sur le fond, je ne partais pas super emballée, craignant une énième redite de Donjons & Dragons ou du Disque-Monde, univers que j’adore, mais dont je n’ai pas nécessairement envie de lire 50 variantes, plus ou moins bien exécutées. En réalité, NightProwler m’a agréablement surprise car tout en bâtissant – ou en actualisant depuis la Première Édition, un univers médiéval fantastique assez classique, les auteurs ont circonscrit les intrigues à un sous-univers moins connu du genre : la criminalité organisée.
Les éléments de contexte s’imbriquent de manière unique dans l’histoire des personnages. Vous n’êtes pas un bandit par vocation mais parce qu’à un moment donné de votre vie ou de votre carrière, une Cassure s’est produite et vous a fait basculer dans les braquages à la petite semaine ; Cassure qui sera scénarisée en début de jeu. Si un jour vous êtes amené à exercer des fonctions politiques, ce sera sans doute parce que vous serez devenu une figure de la pègre locale.
Autrement dit, chaque événement historique, politique ou religieux peut être récupéré par les joueurs pour servir leurs intérêts personnels respectifs. Vous commencez une campagne, soumis aux lois et à la police des cités dans lesquelles vous évoluez avec l’objectif de pouvoir un jour dicter ces lois et contrôler cette police. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la formule fonctionne dans la mesure où elle laisse libre cours à des scénarios longs de complots, de factions et de guerres des gangs.
Le système de jeu
Jouer à NightProwler, c’est se laisser embarquer dans un univers sans en être brutalement extrait par l’effet d’un système de règles imbitable. Les concepteurs du jeu ont voulu une mécanique simple et accessible, même aux meneurs et joueurs débutants. Ainsi, pour tout matériel, vous ne vous munirez que d’un D20. Oui, l’intégralité des actions du jeu se résout avec un seul D20. Je vais quand même apporter une nuance par souci de confort de jeu : si la résolution d’une action simple ne nécessite effectivement qu’un seul jet de dé, le dénouement des actions complexes, qui impliquent un enchaînement d’actions et mettent parfois en scènes plusieurs personnages, sera facilité si chaque joueur est équipé de son propre dé.
En effet, pour résoudre une action complexe, il faudra calculer des moyennes à partir des jets de dés requis… Donc, pour le coup, une calculatrice ne sera pas complètement superflue si vous avez vraiment du mal à faire des moyennes de score sur 20 – n’ayez pas honte, moi-même je suis de cette famille des réfractaires au calcul mental.

Donc, si je pose 13, 6 et 18, pour faire la moyenne… Jean-Michel, t’as pensé à prendre la Texas Instruments ?
À partir de ce système de base, le jeu construit des règles plus précises visant à régir des situations particulières comme le combat, la course-poursuite ou le maniement de la magie. L’apprentissage du système complet est un peu long, mais pour les premiers scénarios, rien n’empêche le meneur d’y aller progressivement et surtout, rien ne l’oblige à mettre en scène un combat de gangs à l’arbalète dès la première partie.
On peut donc instaurer une progressivité dans l’appropriation des règles. En outre, certaines règles ont été voulues optionnelles par les auteurs – ou, à tout le moins, rares – et peuvent donc être évitées, comme le Contrat qui consiste à substituer un seuil de réussite complexe et plus ou moins arbitraire au seuil traditionnel, déterminé par le score du personnage dans la compétence pertinente éventuellement pondéré d’un ou de plusieurs modificateurs de difficulté. En gros, si vous ne le sentez pas trop, n’utilisez pas le Contrat et restez sur la formule de dénouement magique qui intervient dans presque toutes les actions :
L’univers de Nightprowler
Une très grande partie du livre de base est consacrée à l’introduction puis à l’approfondissement de l’univers du jeu. Il y aurait donc beaucoup à en dire, mais au final, je retiens deux remarques.
- La première, c’est qu’au fil de ma lecture de l’histoire du Monde Connu et surtout de la Principauté des Sept Cités, lieu où se déroule l’action du jeu, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Game of Thrones. En guise d’avant-propos, les concepteurs expliquent avoir entendu tenir compte des leçons de plusieurs auteurs de dark fantasy dont George R. R. Martin. La filiation n’est donc pas innocente et la découverte du Monde Connu, de l’ancien Royaume d’Umélor et de la Principauté de Samarande ne vous décevra pas en termes de complexité historique et géopolitique.

Je voulais vous bidouiller une petite flèche rouge sur Paint indiquant « vous êtes ici », mais Mahyar a encore menacé de me virer.
- La deuxième remarque concerne l’accessibilité de cet univers par ses références constantes à notre monde et à son histoire. Certains noms, certains événements, certaines légendes religieuses m’ont surprise par leur similarité avec l’histoire de l’humanité. Parfois, seuls quelques lettres changent : le peuple des Izganes n’est pas sans rappeler les Tsiganes, l’Empire Soloman n’est pas sans rappeler l’Empire Ottoman, les récits mythologiques relatifs à la création du monde ne sont pas sans rappeler les récits bibliques.
Je n’y ai vu aucune paresse de la part des concepteurs du jeu mais, au contraire, une volonté de faciliter la prise en main du background de la Principauté, en faisant appel à des événements et des personnages connus du grand public. Ces similarités, perceptibles dès le début de l’ouvrage, constituent une aide appréciable à la prise en main d’une Principauté déchue de sa splendeur passé, corrompue en son sein et violente à l’égard des autres.
La création de personnages
Le racisme institutionnel en vigueur dans la Principauté n’affecte pas uniquement les Humains non originaires du lieu ; il s’exerce aussi et surtout contre les races non humaines. Ainsi, un personnage peut être choisi non seulement parmi les différents peuples humains implantés dans le Monde Connu, mais aussi parmi les Elfes, les Nains, les Félis ou humanoïdes félins, et les Gouris, qui ne sont pas sans rappeler les Skavens de Warhammer. J’ai apprécié que les développements sur les peuples se terminent par une catégorie « dans le jeu » expliquant la manière dont les différents types de personnages devront être joués.

Oui, vous pouvez jouer un métis humain-félis… Si l’idée que votre personnage se nourrisse de croquettes ne vous dérange pas…
La création des personnages obéit à un schéma classique caractéristiques-compétences-attributs, mais elle innove en fondant la construction des protagonistes sur leurs points de Mémoire. Les points de Mémoire sont ce qui relie la mécanique du jeu à la créativité des joueurs. Un total de 20 points de mémoire est attribué à chaque personnage, avec l’obligation de les dépenser tous avant le début de la partie. Un grand nombre de possibilités s’offre au joueur comme par exemple, l’ajout de points de compétences ou la conversion des points de mémoire en argent pour acheter des pièces d’équipement supplémentaires. En revanche, obligatoire est la dépense de points de mémoires dans la construction de la Cassure du personnage, c’est-à-dire l’explication des raisons pour lesquelles il a sombré dans la criminalité. L’apprentissage des compétences est continu au fur et à mesure de la professionnalisation du personnage dans ses domaines de prédilection criminelle.

J’ai oublié de vous dire : dans le jeu, les Elfes sont un peuple de marins… Non, ne posez aucune question !
NightProwler, que l’on peut traduire par le rôdeur nocturne, m’a proposé un voyage peu commun dans les bas-fonds d’une principauté médiévale fantastique à l’agonie. À la réflexion, c’est tout le Monde Connu qui suffoque. Un monde brutal, où on déteste l’étranger, celui qui n’est pas d’ici, celui qui n’est pas comme nous, celui qui est pauvre, celui qui sait trop de choses, celui qui n’est pas assez soumis, celui qui n’a peut-être encore rien fait, mais dans le doute, ce serait trop dangereux de le laisser libre. Dans ce monde hystérique, on vous propose d’interpréter ceux qui précisément ont beaucoup de choses à se reprocher parce qu’ils ont décidé de survivre et de s’élever par tous les moyens et, de préférence, les moyens illégaux. Cette manière de cadrer les intrigues sur une société parallèle underground m’a plu en ce qu’elle se détache des trames classiques du genre.
Malheureusement, NightProwler présente également le défaut de ses qualités. Le meneur comme les joueurs sont très encadrés, ce qui, du point de vue du guidage, reste très appréciable, mais qui pousse rapidement à dresser le constat selon lequel le jeu n’est adapté qu’aux campagnes. Il paraît difficilement concevable de jouer des parties uniques tant la création de personnages prend du temps et tant l’évolution des personnages semble importante dans leur ascension. Pour être honnête, c’est cohérent avec l’idée qu’on ne devient pas chef de la pègre du jour au lendemain, mais cela limite le format de jeu à la campagne plus ou moins longue.
Je recommande donc NightProwler aux groupes de joueurs qui se rencontrent régulièrement et qui souhaitent prendre des vacances peu reposantes dans les ruelles sombres de Samarande.
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Déçu | Indécis | Content | Extatique |
– Pas de partie unique (ou one-shot)
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+ Un univers très riche
+ Un système de jeu simple
+ Un manuel clair et très fourni
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Univers : Nightprowler deuxième édition
Thèmes : banditisme, criminalité, urban fantasy Matériel : couverture rigide, 336 pages A4 en noir et blanc VF : 2D Sans Faces Auteurs : Jérôme Vernez, Alexandre Amirà, Jean-François Beney, Antoine Boegli, Bouly, François Cedelle, Antoine Clermont, Croc, G. E. Ranne, Nicolas Genoud, David Girardey, Frédéric Hubleur, Julien Laroche, Yann Lugrin, Matthieu Martaresche, Indrek Pärnpuu, Pierre-Henri Pével, Anne Piatti, Guyom Rafin, Oliver Vulliamy
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