AmnesYa 2k51 dépeint un monde dont personne ne veut, même pas en rêve. Le cauchemar éveillé d’une humanité à l’agonie parce qu’elle en a trop voulu, trop pris ou trop vomi. À la veille d’un conflit mondial, les hommes se font refaire le corps et les gènes pour oublier qu’ils persécutent ceux qui sont nés différents et qui ne leur ressemblent plus : les Doppelgängers.
Une critique d’O-Ren
Introduction à AmnesYa 2K51
AmnesYa 2K51 est une licence cyberpunk de six publications dont la première, le livre de règles que votre servitrice se propose de critiquer, est parue en 2005. D’emblée, je vais souligner un premier défaut de forme : l’indigence des informations fournies par l’éditeur en première page. Je ne parle même pas de la dernière page parce qu’elle n’existe pas à proprement parler. L’ouvrage se clôt sur la fin du modèle de scénario. Il devient compliqué de connaître une info aussi simple que la date de parution puisqu’elle n’est mentionnée… nulle part.

Sérieusement, je sais que ça n’intéresse pas forcément les lecteurs de savoir que le livre a été sorti des presses avec amour par les imprimeurs de Saint-Germain-En-Velay, mais la date de parution, ça me paraît être un minimum…
Sur la forme…
Sur la forme, je suis extrêmement déçue. 320 pages massives en format A4 avec couverture cartonnée, mais en ce qui me concerne, dès la première ouverture, la reliure s’est craquelée – alors que je n’y suis pas allée comme une brute. Pour l’instant, elle tient et le livre reste utilisable, mais je m’attendais à mieux.
Toujours sur la forme, toujours dans la déception, les fautes de frappe, les coquilles d’orthographe et les maladresses de mise en page sont certes inévitables, mais ici leur présence finit par devenir un peu trop pesante. Je ne le relève pas uniquement parce que je me suis sentie frustrée dans mon plaisir de lire un ouvrage correctement rédigé, mais aussi et surtout parce que quand la coquille tombe sur un point de règles important, c’est plus grave :

« Il devient possible de cumuler jusqu’à 3 dés en plus (1 Qualité dédiée + 1 Qualité par chevauchement) » … Non, chez moi, 1+1, ça fait 2, pas 3…
Ce que j’en attendais…
Je ne suis pas familière du cyberpunk à la base, mais j’apprécie les dystopies terrifiantes, celles qui en disent long sur la capacité de l’être humain à entretenir sa servitude et à créer les conditions de sa propre extinction. J’attendais donc qu’AmnesYa 2K51 me fasse peur en me donnant à voir un avenir désenchanté et raisonnablement crédible. Sur ce point, le titre est à la hauteur de ses ambitions. On est introduit à univers cohérent, ce qui le rend d’autant plus délicieusement anxiogène. En lisant les évolutions du monde entre aujourd’hui et l’an 2051 – où se tient l’action du JDR, vous avez envie d’y croire et de penser qu’on est foutu !
AmnesYa 2k51 est une odyssée dans un monde révolté mais servile où les hommes ne pensent plus, mais se laissent guider par leurs instincts : la survie, l’enrichissement, la sécurité, la rage et la peur. Un monde dans lequel des individus, les Doppelgangers, ont muté pour développer des capacités surnaturelles pour lesquelles le reste de l’humanité ressent la peur primale de la proie face à son prédateur. Les premiers sont persécutés quand les seconds, jamais à une contradiction près, dépensent des fortunes en greffes de membres surnuméraires et en altération des gènes pour améliorer leurs performances – et courir vers un lendemain meilleur qu’ils n’ont jamais été aussi loin d’atteindre.

Oh toi, mon p’tit gars, tu vas finir dans un camp de redressement privé pour adolescents à problèmes ou je ne m’y connais pas…
Le système de jeu
AmnesYa 2K51 utilise un système de jeu classique, chaque personnage possède des caractéristiques et des compétences. Une action implique un Seuil de Difficulté – le SD. Pour savoir si une action peut être réalisée, on lance un nombre de dés à 6 faces égal au score de la caractéristique idoine. Sur le total des dés lancés, on en conserve un nombre égal à la compétence pertinente pour réaliser l’action. On additionne le résultat conservé au score de la caractéristique utilisée et on compare la somme au SD.

Pour l’exposé des règles, le livre passe en format paysage… Je n’ai pas compris pourquoi et je ne suis pas persuadée que c’était indispensable
Pour illustrer la base de ce système, j’ai choisi une action que les lecteurs de ce blog connaissent bien : la préparation d’un rhum explosif, le fameux Mojito Molotov. J’ai suffisamment d’années de pratique du Mojito pour que le MJ considère un SD raisonnable, commun à la plupart des actions, le SD de 12. La caractéristique pertinente pour réaliser cette action sera mon Génie – reconnaissez que le Mojito Molotov, c’est quand même du génie. Considérons que ma caractéristique de Génie est de 4.
Pour la compétence adéquate, vous seriez tenté de vous référer à mon score en Armes de jet… Sauf que j’ai bien précisé que j’allais préparer un cocktail Molotov… Je ne compte ni l’enflammer, ni l’utiliser, mais juste le préparer. Je vais donc me référer à la compétence Technique/Artisanat, qui est ma compétence de spécialité et pour laquelle mon score est de 3.
Si nous récapitulons les données :
• Action : préparer un Mojito Molotov,
• Seuil de Difficulté : 12,
• Caractéristique pertinente : Génie, score de 4,
• Compétence pertinente : Technique/Artisanat, pour un score de 3.
Je vais lancer autant de dés que ma Caractéristique Génie : 4. Ceux-là affichent : 6, 5, 3, 1. J’en garde autant que mon score de compétence utilisée pour réaliser l’action, c’est-à-dire 3. Je conserve donc le 6, le 5 et le 3, pour un score de 14. J’additionne le résultat à ma compétence Artisanat, pour un total de 17. Le SD étant de 12, l’action est réussie.
À partir de ce cette équation de base, les scores de Caractéristique et de Compétence vont se modifier en fonction des propriétés de votre personnage ou d’événements extérieurs. Par exemple, si vous choisissez d’incarner un Doppelganger, donc un mutant, vous pouvez attribuer un maximum de 9 points dans une Caractéristique, contre 6 pour un humain « normal ». Si votre personnage a recours à la « médecine » d’altération du corps ou léganthropie, ses nouvelles caractéristiques physiques ou mentales vont influencer le dénouement des actions en vous donnant la possibilité d’utiliser des dés bonus.
Je n’ai pas beaucoup de critiques à formuler contre le système de règles. Définitivement clair, son exposé se veut pédagogique et gradué dans la difficulté. Mais en toute franchise, je trouve les dernières pages d’explication un peu trop compliquées pour être utilisées sur une partie de base. Même si leur divulgation étant progressive, vous restez libres de ne pas toutes les utiliser.
Je trouve un peu dommage que les Doppelgangers, en tant qu’individus aux pouvoirs délirants, bénéficient d’une telle avalanche de points de Caractéristiques – malgré les possibles contraintes, mais nous y reviendrons plus tard. Il me semble capital pour le MJ de garder en mémoire la marginalité subie par les mutants qui complique toutes leurs interactions avec le reste de l’humanité.
La mention spéciale au système de réussites et d’échecs critiques qui sort nettement des sentiers battus. La réussite critique est basée sur la réalisation d’une suite de dés – par exemple, 2,3,4 – qui, ajoutée au score obtenu, renforce ce dernier. Comme il est fréquent d’obtenir une suite en lançant plusieurs dés de 6, les joueurs sont encouragés à tenter des actions audacieuses dont le SD aurait pourtant pu les décourager. L’échec critique, quant à lui, se fonde sur le score maudit : le 1. Si plus de la moitié des dés lancés affiche le score de 1, c’est la défaillance.
Ainsi, il est quand même beaucoup plus fréquent de faire une réussite qu’un échec critique. Comme l’univers du jeu est majoritairement hostile, je ne considère pas cet élément comme handicapant.
Pour terminer sur le système de jeu, je déplore deux lacunes, là encore de pure forme. Il n’y a ni fiche de création de personnage, ni personnages pré-tirés et quand on connaît le nombre de caractéristiques, de compétences, de nuances, de carrières et de profils qui peuvent entrer en jeu dans la création des personnages, les deux auraient permis une familiarisation plus rapide avec les règles de base et un confort de jeu accru. Je vous recommande donc, avant une partie, de préparer a minima des fiches Humains et Doppelgangers pour orienter rapidement vos joueurs.
L’univers 2k51 : un monde hystérique
Le monde tel qu’il est dépeint dans AmnesYa 2k51 a de quoi rendre dépressif un régiment de majorettes. C’est notre monde imaginé en 2051, dans un libéralisme débridé, une sécurité obsessionnelle, une intolérance furieuse et une guerre mondiale tiède que l’on sent bientôt bouillante. Un rappel historique en début d’ouvrage permet de comprendre comment l’humanité en est arrivée là. J’ai apprécié la volonté des auteurs de rendre le récit cohérent et crédible. Ici, pas d’apocalypse nucléaire ou d’épidémie extinctrice, mais un enchaînement de mauvaises décisions, de scrutins malheureux et de lois liberticides. Tout le monde est à blâmer alors que tout le monde pense avoir raison et défend son petit bout de territoire géopolitique, familial ou patrimonial. La Terre est devenue hystériquement effrayante.

Jean-Michel, que les mines anti personnelles ont rendu aveugle, n’a apparemment pas les moyens de s’acheter des yeux bioniques… C’est bien dommage, mais bon, il est pacifiste aussi, fallait choisir ton camp, Jean-Michel.
Les Doppelgangers
Déjà évoqués, les Doppelgangers, ces individus qui ont mis le feu aux poudres en naissant différents des autres, constituent les véritables protagonistes de l’histoire et de l’Histoire. L’humanité entière tourne désormais autour d’eux, même si elle se garde bien de le reconnaître. Ils inspirent peur et défiance parce que personne ne sait d’où viennent leurs différences génétiques et les rumeurs les plus folles courent à leur sujet – pour certains, leur syndrome serait contagieux, pour d’autres, ils viendraient d’une galaxie lointaine dans le but d’exterminer l’humanité. Ce qui est certain, c’est que les autorités sanitaires les conçoivent comme des individus malades. Leur syndrome porte un nom, le NEXTS – NeoEXpressed Tags Syndrom. Partout dans le monde, les individus sont évalués pour détecter la présence d’un NEXTS, prétexte à leur recensement, à leur traque et à leur mise au ban de la société. L’échelle de Darwin fournit la lecture du degré de NEXTS d’un Doppelganger. Plus elle est élevée, plus le mutant sera restreint dans ses libertés individuelles et persécuté dans sa vie privée, ce qui peut aller jusqu’à l’internement dans un camp de concentration.

« Les Doppelgangers sont la vérole, le sida. Ils sont juifs. Ils sont nègres. » Ce qui vous donne une idée des discriminations qu’ils subissent…
Vous auriez cependant tort de considérer les Doppelgangers comme des anges tant il est vrai que leurs pouvoirs impliquent souvent de violentes contreparties. Dans le jeu, l’exercice d’un pouvoir spécial mutant se nomme Déchirure et chaque Déchirure entraîne une Tare, comme une rançon de la puissance utilisée. Plus un Doppelganger est puissant, plus il devra gérer de Tares. Par exemple, un Doppelganger flétrisseur, à savoir un mutant ayant la capacité de faire vieillir toute personne d’un simple contact de la peau, porte sur son faciès la Tare de sa compétence : il sera souvent livide et cadavérique. Il revêt, en quelque sorte, les effets de sa propre flétrissure.
À grands pouvoirs, grandes conséquences. S’il est parfaitement possible de jouer un Doppelganger pacifique et raisonnable, il convient de garder en mémoire que la plupart des Déchirures permettent de réaliser plus facilement des actions violentes ou d’augmenter l’amplitude d’une capacité destructrice, tout en subissant la Tare correspondante… Jouer un Doppelganger, c’est donc accepter d’être à la merci d’une bestialité profonde qui peut surgir à n’importe quel moment.
La léganthropie
Le monde d’AmnesYa 2K51 n’a pas fait que régresser dans son éthique et son humanité. Il a également progressé dans sa médecine et sa technologie. La léganthropie, nouvelle spécialité chirurgicale, permettant d’altérer l’être humain dans sa génétique ou dans sa physionomie, a permis de grandes avancées en matière de reconstruction des membres et de lutte contre les maladies génétiques. En se démocratisant, elle s’est cependant pervertie. S’il devient aisé de greffer un bras métallique à un individu amputé, imaginez les possibilités qui s’offrent à un patron trop cupide qui financerait la pose de bras surnuméraires sur ses employés pour augmenter leur productivité. La léganthropie apparaît ainsi comme l’un des symptômes majeurs de tous les maux qui rongent le monde : les gouvernements y ont recours pour « améliorer » la puissance de leurs armées, les entreprises déforment leurs travailleurs pour augmenter la croissance, les individus se façonnent un corps bionique parfait. Inutile de vous dire que les compétitions sportives en 2051 sont une vaste blague : pourquoi concourir « à jeun » quand on peut se faire injecter des cellules améliorant la masse musculaire ou carrément se faire greffer une troisième jambe ?

Ah bah oui, la léganthropie, je vous avais dit que ça douillait ! Mais bon, 5.000 $ la séance de sérum régénérant, ça vaut quand même la peine de prendre sur le budget des études des enfants, non ? De toute façon, ils finiront chômeurs, ces p’tits cons…
La léganthropie se joue de différentes manières. En tant que patient, vous pouvez avoir recours à la transgenèse, ou thérapie génique, et à la prothochirurgie, ou implantation de prothèses – ces technologies restent pour la plupart hors de prix et les auteurs vous encouragent à ne pas vous affranchir de cette contrainte en jeu, afin de ne pas transformer vos personnages en bêtes de foire trop rapidement. Un aspect non négligeable du jeu réside dans la possibilité d’incarner un chirurgien léganthrope. À vous de déterminer si votre chirurgien sera un ponte diplômé d’Harvard et soucieux de sa déontologie ou un truand sans scrupule qui opère dans une cave.
J’ai indiscutablement adhéré à la proposition d’AmnesYa 2k51. Sur le fond, on m’a donné à voir un monde de désolation et d’hystérie collective propice aux développements d’une large gamme d’intrigues, des plus individualistes au plus ambitieuses – pourquoi ne pas jouer une organisation d’opposants au pouvoir qui veut renverser les régimes autoritaires en place ? L’univers est non seulement cohérent, mais détaillé, affiné et susceptible de répondre à toutes les questions que le MJ se pose en préparant son scénario.
Les illustrations, déprimantes, servent indéniablement le propos. J’aurais sans doute aimé en voir un peu plus au fil des pages. Les cartes ne sont qu’au nombre de trois. Par ailleurs, elles négligent des endroits particulièrement importants du monde, comme le front de la guerre du Vietnam – et elles apparaissent également un peu trop sombres pour être vraiment lisibles.
J’ai apprécié que le phénomène Doppelganger soit décrit sans parti pris et avec un exposé de toutes les conceptions et fantasmes que l’humanité s’en fait. Sur le strict plan ludique, les mutations compliquent les règles et je regrette sincèrement l’absence de fiches de personnage et de pré-tirés.
La léganthropie n’est pas le facteur le plus facile à prendre en main pour le MJ, surtout qu’à l’inverse, on sait bien qu’il va immédiatement intéresser les joueurs. Son caractère onéreux encourage en tout cas à y venir progressivement, au fil des parties, comme un objectif à réaliser pour le personnage.
AmnesYa 2K51 nécessite un temps de préparation, mais sous cette condition d’assiduité, il promet de belles parties dans lesquelles tout en luttant pour sa survie, on essaiera de bâtir un autre monde, un monde peut-être un peu meilleur.
Breaking news ! : l’éditeur nous fait savoir qu’une version PDF gratuite et avancée des règles (comprendre, lissées & plus accessibles), est mise à disposition ICI.
JE VEUX CE JEU MAINTENANT | ||||||
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déçu | contrarié | indécis | satisfait | ravi | passionné | extatique |
+ Un univers parfaitement abouti
+ Un système de jeu évolutif
+ Un manuel très explicatif
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– La forme est clairement bâclée
– Pas de pré-tirés
– Pas de fiche de création de perso
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Univers : AmnesYa2K51
Thèmes : dystopie, survie, résistance Matériel : 320 pages A4 en noir et blanc VF : DEADCROWS Studio pour les éditions UBIK Auteurs : Raphaël Bardas, Nicolas Bertoldi, François Cedelle, Didier Kurth, François Labrousse , Willem Peerbolte, Samuel Zonato
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